UN MUSICIEN DE LA MÉMOIRE

Nous venons d’apprendre, dans la nuit, la mort du compositeur Ennio Morricone. À part qu’il a grandi à Rome pendant la IIe guerre mondiale – il va vers ses 16 ans quand les Alliés prennent Rome, le 4 juin 1944 – le lien du compositeur fétiche de Sergio Leone avec la mémoire de la résistance ne saute pas aux yeux, je vous l’accorde. Si son nom est associé pour le grand public au western spaghetti, en particulier par ses collaborations avec Sergio Leone, il a aussi apporté son écriture musicale à des films qui sont autant de manifestations de mémoire.

SACCO ET VANZETTI

La chanson est assez célèbre, mais c’est plus à son interprète qu’à son compositeur qu’elle est souvent attribuée. Ainsi, c’est par la voix de Joan Baez que nous connaissons la chanson Here’s to you.
En 1971, la chanteuse folk, parfois surnommée « la madonne des pauvres gens », et lui planchent sur cette chanson pour le film Sacco et Vanzetti, de Giuliano Montaldo. Une évocation de l’affaire du même nom qui vit deux anarchistes italiens de Boston menés à la chaise électrique dans une atmosphère post première guerre mondiale dans des États-Unis pour le moins agités. L’économie de guerre est en reconversion et la tension sociale est extrême. Le mouvement ouvrier se bat pour la hausse des salaires et la baisse du temps de travail. On compte plus de 4 millions de grévistes en 1919. La répression est féroce. Les institutions craignent, comme dans tous les pays industrialisés qui sortent du premier conflit mondial, la contagion de la révolution russe.


Sur le même thème, je recommande d’ailleurs la lecture du roman Un pays à l’aube écrit en 2008 par Dennis Lehane, l’auteur de Mystic River, Gone Baby Gone ou Shutter Island, qui raconte, dans la même ville de Boston, des destins croisés, dont celui d’un ancien combattant devenu policier chargé d’infiltrer les milieux anarchistes, socialistes et communistes de l’immigration russe.

La carrière cinématographique du réalisateur de Sacco et Vanzetti, Giuliano Montaldo, commence en 1950, alors qu’il a 20 ans. Il décroche un rôle dans son premier film : Achtung ! Banditti !
Ce film est produit par une coopérative proche du Parti Communiste Italien. L’histoire, c’est celle d’un groupe de résistants génois qui, avec l’aide d’un comité d’ouvriers en grève, doivent s’emparer d’une cargaison d’armes allemande.

Sacco et Vanzetti, c’est un pan de la mémoire du mouvement ouvrier et de la mémoire de l’immigration italienne aux États-Unis.

SERGIO LEONE, LA MÉMOIRE ET LA LÉGENDE

Faut il développer après ça ? Les Sergio Leone, c’est la musique de Morricone. Et c’est dans ses collaborations avec Leone que Morricone a été connu internationalement, surtout avec Le Bon, la Brute et le Truand. Comme présenté dans cette vidéo d’Arte, le cinéma, qui est avant tout légende et mémoire, dans les mains de Leone, c’est du poil à gratter dans la mémoire des États-Unis. Le Far West, c’est une jungle sale, boueuse, poussiéreuse, violente. Le cow-boy est crasseux et cupide. Et globalement bouseux sur les bords.

La légende est d’ailleurs prise à bras le corps en 1973 dans une production de Leone, dont il laisse la réalisation à son assistant Tonino Valerii : Mon nom est Personne. Référence du titre à l’Odyssée et à l’épisode d’Ulysse rusant du cyclope Polyphème, le film raconte une légende de l’ouest, Jacques Beauregard, joué par Henry Fonda, vieillissant, poursuivi par un jeune inconnu, joué par Terence Hill. Le héros vieillissant veut quitter l’ouest. Son admirateur veut absolument qu’il reste dans la légende. Ou plutôt, que la légende survive, ce qui est une des morales du film. « Personne » laisse partir Beauregard parce qu’il a endossé la légende qu’il a contribué à écrire.
Henry Fonda, qui a déjà porté le costume du héros de western entre la fin de la guerre et le début des années 60 (La Conquête de l’Ouest, la Poursuite Infernale) campe ce héros un peu surannée et passe symboliquement le costume à un “nouveau venu » dans le genre – premiers westerns à la fin des années 60 : Terrence Hill.
La musique d’Ennio Morricone est au diapason de ce film : picaresque et ironique, comme si au fond, tout ça n’était pas vraiment pris au sérieux.
Ces westerns spaghettis sont aussi des marqueurs d’une époque : les États-Unis de la guerre du Vietnam, cette « Amérique » qui doute d’elle-même, en étant passés du costume du libérateur de 1945 à ceux des bourreaux.
Pas si loin du « Far West », Il était une fois la Révolution croise les mémoires de la Révolution Mexicaine et de la Guerre d’Indépendance Irlandaise. Avec toujours Morricone à la baguette.

Reste que si le western « spaghetti » – appellation somme toute un peu xénophobe, c’est quand-même pas loin du « macaroni » dont les ressortissants italiens ont été fréquemment affublés – occupe la place centrale des mémoires à l’évocation du duo Leone-Morricone, leur chef-d’œuvre, c’est Il était une fois en Amérique de 1984, plongée dans l’époque non plus de la « Conquête de l’Ouest », mais dans la prohibition (1920-1933).
En toute objectivité, je pense que c’est un des plus grands films de l’Histoire du Cinéma.

L’œuvre de Leone, c’est donc beaucoup une thématique du temps qui passe et ce qu’on en retient. C’est à ça que Morricone a contribué.

On pourrait poursuivre des heures sur le sujet. On pourrait aussi évoquer son travail avec Roland Joffé sur Mission en 1986, sur les missions jésuites au Brésil, au Paraguay et en Argentine aux XVIe et XVIIe siècle, film qui se conclue par les mots suivant : « L’esprit des morts survit… dans la mémoire des vivants. »
Pour finir, Ennio Morricone, c’est aussi la musique d’un film algéro-italien de 1966 : la Bataille d’Alger. Dans l’équipe du film, on retrouve aussi Giuliano Montaldo, assistant de Gillo Pontecorvo. CQFD.

PS : Après lecture, un ami me fait remarquer que la musique d’Ennio Morricone, c’est aussi celle des films d’Elio Petri, dont La classe ouvrière va au paradis, Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon et La propriété, c’est plus le vol.

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