FALLAIT-IL SAUVER LE SOLDAT RYAN ? 2e partie

Dans la première partie de cet article, nous avons vu que le film Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg est une grosse production brodant sur une histoire vraie. Un scénario dont la vraisemblance est au fond, presque secondaire. Il s’agit d’un acte de mémoire. En tant que tel, il s’inscrit dans un contexte historique et fait des choix plus ou moins conscients de représentation.
C’est ainsi que je fais le choix de le traiter.
Je disais également dans le premier article qu’il avait en quelque sorte remplacé Le jour le plus long dans la représentation du débarquement de Normandie. Quelques comparaisons avec cet illustre prédécesseur seront éclairantes.

Un acte de mémoire made in USA fin des 90’s

Le film est tourné en 1997 et diffusé en 1998. Même s’il ne faut pas exagérer le poids du contexte historique dans la décision de mener à bien la production du film, force est de constater que ce contexte, ou plutôt ces contextes, jouent certainement dans l’accueil réservé au film. De fait, un producteur avisé n’investira pas dans un film s’il ne croît pas que celui-là peut recevoir un accueil favorable.

Clinton 2nd acte

Clinton acte I, 1993 : après Carter à Camp David (paix Israël Égypte) en 1978, douze années de présidence républicaine et la fin de la Guerre Froide, le président des États-Unis encourage un accord de paix Israël Palestine. Et espère diffuser libre-échange et démocratie de par le monde.
Clinton acte I, 1993 : après Carter à Camp David (paix Israël Égypte) en 1978, douze années de présidence républicaine et la fin de la Guerre Froide, le président des États-Unis encourage un accord de paix Israël Palestine. Et espère diffuser libre-échange et démocratie de par le monde.

En 1997, un démocrate, Bill Clinton, est à la Maison Blanche. C’est le premier président de l’après guerre froide. Et aussi le premier « boomer » a accéder à la présidence. Il est né en 1946. Son prédécesseur, Georges HW Bush, a combattu dans le pacifique. Depuis Eisenhower, sur les 8 présidents qui l’ont précédé dans le bureau ovale, 6 ont combattu : Eisenhower au commandement, Kennedy, Johnson, Nixon, Ford et Bush au sein de diverses unités. Carter fait l’académie navale en 1946. Reagan passe la guerre à faire des films de propagande avant de dénoncer ses collègues au sénateur Mac Carthy dans les années 40-50 (mais c’est une autre histoire). Clinton, donc, c’est la génération d’après-guerre. Son éveil politique, c’est plutôt l’opposition à la guerre du Vietnam. Mais c’est surtout Hillary Clinton, sa femme, qui s’engage dans cette lutte là.

Ce qui est certain, c’est que la première dynamique de son mandat, à partir de 1993, c’est un peu celle d’une démocratie répandue de par le monde par la voie du libre-échange. Il s’engage d’ailleurs avec son vice-président, Al Gore, pour la ratification, pas encore acquise, des accords de l’ALENA négociés sous la présidence Bush.
Autres accords d’importance et s’inscrivant dans la suite du précédent président démocrate, Jimmy Carter : les accords d’Oslo, espoir de paix dans le conflit israélo-palestinien.

Mais en 1997, la donne a changé.
Dans les relations internationales, la guerre de Somalie et l’éclatement de la Yougoslavie ont mis l’ONU en situation d’impuissance. C’est l’OTAN, l’alliance militaire occidentale de la guerre froide, qui prend le pas, menant deux campagnes de bombardements sur la Serbie en 1995 puis 1999, et sur l’Irak en 1998.
On peut aussi mentionner l’attentat de février 1993 perpétré par Al-Qaïda contre le World Trade Center (6 morts et un millier de blessés).
Les mid-terms de 1994 ont été la « révolution républicaine ». Clinton doit gouverner avec un sénat et un congrès acquis au camp adverse. En janvier 1996, lors de son discours sur l’état de l’union, il annonce qu’il renonce à la plupart des réformes de son programme – dont une assurance maladie universelle qui sera le cheval de bataille du démocrate suivant à la Maison Blanche, Barack Obama.

En résumé, la présidence Clinton se révèle une courte parenthèse plus qu’une réelle alternance dans les trois décennies républicaines lancées par le slogan du candidat Reagan : « America is back ».

Du bloc de l’Ouest à America is back.

J’évoquais l’illustre prédécesseur Le jour le plus long. C’est peut-être ici qu’il y a le plus de comparaisons à faire.
Le jour le plus long, c’est un film de la guerre froide. Produit au début des années 1960. L’année de sa sortie, c’est celle de la crise des missiles de Cuba. Le mur de Berlin vient d’être construit.
Dans la lutte d’influence sur le continent européen que se livrent est et ouest, Le jour le plus long, c’est la célébration de la libération de l’ouest par lui-même. Ainsi, les différentes nationalités impliquées sur le front ouest s’y trouvent représentées.

Fort contingent américain, certes, mais aussi britanniques et français. John Wayne himself, campant un colonel de parachutistes, attendant l’heure du débarquement, rappelle ses hommes à une forme d’humilité : « L’Angleterre subit le blitz depuis 1940. Nous sommes pour ainsi dire des nouveaux venus. »

L’Allemagne, pour sa part occidentale, est alors intégrée au bloc de l’ouest. Elle en est même un des remparts. Les rôles allemands, joués par des acteurs allemands, ont bien le rôle de l’occupant. Mais la question du nazisme est soigneusement évitée. Il me semble, mais je vous laisse le soin de vérifier que je ne me trompe pas, qu’Adolf Hitler, s’il est évoqué, n’est jamais cité nommément. Les Alliés n’en parlent pas. Les Allemands disent « Le Führer ». Un peu comme si son nom ne devait pas être prononcé.

Celui dont le nom ne doit pas être prononcé.
Mais pas dans ce film.

Note : le film de 1962 fait la part belle au mythe d’Hitler principal responsable de la défaite des armées du IIIe Reich.
Un général allemand : « Nous allons perdre la guerre parce que le Fürer a pris un somnifère avant d’aller se coucher. »
En réalité, à la fin de la guerre, le haut commandement allemand eut beau jeu de charger l’image d’un dictateur imbu de ses prétentions sur la conduite de la guerre. Mais il fut bien dire que chacun des choix stratégiques de Hitler a trouvé systématiquement de hauts commandants prêts à les mettre en œuvre.

On peut aussi souligner la quasi absence des Canadiens, décidément de grands oubliés du Jour J, dont le corps expéditionnaire reçoit la mission de conquérir une des cinq plages et les abords ouest de Caen. Mais dont les grandes fresques évoquant le débarquement ne parlent pas. Donald Trump a snobé la cérémonie à Courseulles-sur-Mer/Juno Beach lors des commémorations du 75e anniversaire du débarquement l’an dernier.

Néanmoins, à l’exemple du livre de Cornelius Ryan, il règne sur le film de 1962 le souci de donner une part à tout le monde.
D’ailleurs, le casting international du film, extrêmement fourni, correspond à ce quasi œcuménisme : finalement, avec toutes ses têtes d’affiches, difficile de dire qui est la star du film.

En revanche, cela va de soi, aucune mention n’est faîte du front de l’est, ni par les allemands, ni par les alliés.

Le contrepied du Jour le plus long.

Dans le contexte très différent de la fin des années 1990, où les États-Unis, grands vainqueurs de la guerre froide s’assument en gendarmes du monde, le D-Day hollywoodien, c’est Omaha Beach et les paras américains. Ceux qu’on retrouve en 2001 dans la série Band of Brothers, produite par Steven Spielberg et Tom Hanks. Le premier épisode de la série est d’ailleurs diffusé aux États-Unis deux jours avant le 11 septembre.

La violence du premier est édulcorée, celle du Soldat Ryan est crue. Les morts et les blessés sont mutilés, les entrailles à l’air, saignent abondamment. Un soldat est disloqué par la bombe qu’il manipule.

Les Allemands se contentaient d’être des lourdauds dans le film de 1962. Ici, un soldat juif montre l’étoile de David de sa plaque d’identification à des prisonniers allemands. Un de ses camarades lui passe un couteau des jeunesses hitlériennes récupéré sur un cadavre : « ce sera le couteau pour le Shabbat, maintenant. » Un autre évoque l’idée de tuer Hitler. Cette fois-ci, le nazisme est bien présent. Le contraire aurait été étonnant, ceci dit, de la part du réalisateur de la Liste de Schindler.

La mauvaise tête à « Monty »

Et cette fois-ci, on n’invite personne à la commémoration. Les seuls personnages français sont des civils affolés. Ce qui, dans l’angle choisi, n’est d’ailleurs pas aberrant : dans ce secteur et au moment évoqué, impossible pour la Résistance d’avoir une action armée. Et les bombardements ont été intensifs. Mais les Alliés britanniques, eux, ne sont vraiment pas ménagés. « Monty prend son temps pour prendre Caen. – Ce gars-là est surestimé. » échangent deux officiers américains. Il est vrai là aussi que dans le contexte évoqué, cet échange aurait été possible. Montgomery ne fait vraiment pas l’unanimité dans le camp allié. L’objectif donné au secteur britannique était la prise de Caen au soir du 6 juin. La ville ne tombe que le 19 juillet après des bombardements et des combats acharnés. Il faut dire que les combats dans le secteur britannique autour de Caen sont très différents de ce qu’ils sont plus à l’ouest autour de Carentan et en direction de Cherbourg. Dans un terrain difficile, marécageux, les divisions américaines affrontent des unités très hétéroclites, principalement d’infanterie. Caen, entouré de champs ouverts, est un terrain pour les chars. Les Britanniques souffrent particulièrement sur ce terrain propice aux redoutables canons allemands et, surtout, aux deux divisions blindées SS, la 12e et la 21e. Montgomery, en maintenant la pression sur Caen, fixe ces divisions, permettant dans le même temps aux divisions américaines de couper le Cotentin et de progresser vers Cherbourg. Sauf que Montgomery est un communicant assez particulier. C’est ce qu’il a amené à prendre le commandement en Afrique du Nord fin 1942 : face à Rommel, il faut à l’état-major britannique un chef sur de lui, qui inspire confiance à ses hommes. Et sur de lui, il l’est. Tout au long de la bataille de Normandie, « Monty » n’a de cesse d’annoncer des opérations décisives qui s’avèrent décevantes et de se satisfaire avec un certain culot des maigres gains de celles-ci. Arrogant, il l’est certainement. Forcément, la patience de ses homologues américains atteint ses limites. Patton le déteste absolument. Eisenhower fait tout ce qu’il peut pour composer et maintenir l’unité des armées qu’il commande. On peut supposer cependant que Montgomery, à l’instar de l’attitude de De Gaulle ou Leclerc, essaie aussi de défendre son indépendance avec des forces qui s’amenuisent. Engagé dans la guerre depuis 1939, l’empire britannique commence à manquer d’hommes et dépend lourdement de l’industrie américaine. Dans ces conditions, les prérogatives britanniques sont défendues bec et ongles. Du point de vue américain, cette attitude passe pour de l’incompétence, de l’indiscipline et de l’ingratitude.

Attention, il ne s’agit pas ici de dire que les soldats américains ont eu la partie facile. Il y a de réels et violents combats dans le Cotentin. Quant à l’apport américain en hommes et en matériel, il est décisif. Simplement la mémoire qui s’exprime dans ce film tend à occulter la part prise par les autres pays engagés. C’était néanmoins le ressenti d’une bonne partie des hommes dans les lieux et le moment évoqués et, en 1998, il n’y a pas de gène à le partager.

Tigre et requin

Qu’on s’attache ensuite à la bataille finale dans le village. Les rangers ont retrouvé Ryan avec d’autres parachutistes qui ont établi les défenses d’un pont sur le Merderet. Cette rivière sépare l’est et l’ouest du Cotentin. Des combats violents opposent dans les premiers jours de la bataille de Normandie les parachutistes américains sur les ponts qui franchissent cette rivière et les marécages qui l’entourent aux troupes allemandes tentant de réduire la tête de pont d’Utah Beach. C’est le cas à La Fière ou à Chef-du-Pont.
Ici, le lieu est fictif, donnant plus de liberté à Steven Spielberg pour déployer son récit. Néanmoins, reprenons le récit qui est fait de cette bataille. Les rangers et les paras y affrontent des Waffen SS et plusieurs blindés. Une unité SS est, dans les faits, présente dans le secteur probable de cette bataille fictive : la 17e division panzer-grenadier SS. Cette unité participe, aux côtés des parachutistes allemands, à la bataille de Carentan entre le 9 et le 13 juin. Ce type d’unité dispose de blindés. Principalement des chars moyens et des canons d’assaut, c’est à dire des blindés sans tourelle, destinés principalement à détruire les chars et à pallier les carences en hommes et en équipement des armées allemandes puisque demandant un membre d’équipage en moins et permettant une production plus rapide et moins couteuse. On voit d’ailleurs des canons d’assaut engagés dans cette bataille.

Bien trop de monde autour d’un char. Efficace pour le film. Bien moins dans le réel.

Le climax de cette bataille est atteint quand les soldats américains voient un char détruit par un avion alors qu’il va franchir ce pont chèrement défendu. Les renforts arrivent, mais presque tous les défenseurs ont été tués. Le char c’est un Panzer VI Tigre. L’avion, un P 51 Mustang. L’un comme l’autre sont de parfaits intrus dans cette situation.

Il faut dire que tous deux sont auréolés de légende.
Le Tigre est un des premiers chars lourds de l’histoire. Plus de 50 tonnes, plus de 10 cm d’épaisseur de blindage par endroits et un redoutable canon de 88 auquel presque aucun char allié ne peut résister : lorsqu’il apparaît, d’abord sur le front de l’est puis en Afrique du Nord, il semble indestructible pour les moyens alliés. De fait, à la fin de la guerre, la plupart des chars de ce modèle neutralisés par les Alliés ont été soit abandonnés par leur équipage, soit détruits par des bombardements aériens. Rares sont les chars disposant des moyens de rivaliser. Ce char devient donc un objet de crainte légitime pour tout soldat allié. Sauf qu’en juin 1944, il n’y en a pas un seul dans le Cotentin. Tous les Tigres allemands disponibles sont engagés dans la plaine de Caen avec les 12e et 21e division blindées SS.
Ce choix incohérent, il n’est pas anodin : le char Tigre, ici, joue le rôle que joue le requin dans les Dents de la Mer. En 1976, pour les besoins de son premier film à grand spectacle, Spielberg invente un requin qui n’existe pas : plus grand, plus de dents, plus méchant. Un monstre.
Ici, le Tigre n’est pas à sa place, d’autant moins qu’il n’est pas sur un terrain où il serait engagé à priori, en combat rapproché contre des fantassins qui peuvent atteindre ses points faibles. Il est principalement utile pour détruire les chars alliés à plus d’un kilomètre de distance. Il devrait plutôt se trouver en arrière des fantassins qui le couvrent pour leur apporter un appui. Mais il avance en tête de colonne, exposé. Il n’empêche que pour les besoins de la séquence filmique, ça marche : il avance, indestructible ou presque, sur les défenseurs du pont, fait trembler le sol. De quoi semer l’effroi.

Le P 51 Mustang qui le détruit à la fin n’a lui non-plus rien à faire là. C’est le meilleur avion de chasse à disposition de l’armée américaine jusqu’à la fin de la guerre. Cet appareil s’illustre en particulier dans la longue bataille pour la conquête du ciel européen. Rapide, maniable et à long rayon d’action, sa mission essentielle consiste à chasser les avions allemands. L’attaque des cibles au sol est dévolue à un autre avion, le P 47 Thunderbolt. Plus lent, plus trapu, plus robuste, il peut emporter une charge importante de bombes et roquettes.
Alors pourquoi le P 51 ? Certainement pour des raisons esthétiques. Parce que ça colle mieux avec le rôle d’ange-gardien que le capitaine Miller (T. Hanks) leur prête. Sans doute aussi qu’il était plus facile de trouver un P 51 qu’un P 47, le premier ayant plus la côte auprès des collectionneurs (une centaine volant encore à l’heure actuelle).

Tout au long de cette séquence, il s’agit donc pour Spielberg de créer une séquence qui marche pour un film populaire à grand spectacle. Et c’est un cinéaste particulièrement doué pour ça.

Mais normalement, un spectateur entrant dans une salle de cinéma sait qu’il vient voir une fiction. Alors où est le problème ?

Ceci n’est pas un casse-pipes.

En soit, il ne s’agit pas de jeter l’anathème. Chacun entrant dans une salle de cinéma doit être conscient qu’il assiste à une représentation. L’enjeu pour le cinéaste est de rendre cette représentation valable pour son spectateur. On ne regarde, en principe, pas des héros et héroïnes de film défier la peur, la mort, la pesanteur et la vraisemblance en s’imaginant qu’on va faire pareil en sortant de la salle. En principe. Et un cinéaste qui se briderait à ce sujet n’aurait pas grande chance de réaliser un film attrayant. On va au cinéma voir une fiction pour se faire mentir. Je ne vais pas revenir à la poétique d’Aristote et la catharsis théâtrale.

Mais il y a une ambiguïté autour de ce film – et de sa série sœur Band of Brothers. Parce que justement, l’éloge principal régulièrement fait à ce film, c’est son réalisme. Toute sa promotion en 1998 insiste sur le souci apporté au réalisme. Les acteurs principaux ont été envoyés en camp d’entrainement sous les ordres du conseiller militaire du film, Dale Dye, ancien marine – le Colonel Sink dans la série BoB. Ils y ont fait quotidiennement le parcours du combattant avec 30 kg de barda. Ils ont dormi à la belle étoile et gardé des uniformes mouillés pendant plusieurs jours.
Les ingénieurs du son ont tiré avec des armes d’époque sur des carcasses d’animaux pour réaliser les bruitages. Et comme nous le disions, la violence y est montrée crument. À l’époque, cela a été considéré comme une nouveauté. En particulier sur cette guerre.

Sauf que la nouveauté de la violence de la guerre au cinéma, il convient de la relativiser. Certes, aucun cinéaste n’était allé jusqu’à montrer à ce point les corps disloqués. Néanmoins, qu’on regarde un certain nombre de films des années 70, on constate déjà que le code Hays n’est plus en vigueur. En 1962, pour Le jour le plus long, c’était le cas. Le code Hays, c’est ce code de bonne conduite adopté par l’industrie du cinéma américain après plusieurs scandales et campagnes des ligues de vertu dans les années 20. Violence et atteintes à la décence et à la morale ne sont, jusqu’à l’abrogation du code en 1968, pas bienvenues dans les films.
Un film comme Un pont trop loin (1977) que j’ai déjà évoqué, raconte le désastre de l’opération Market-Garden, en septembre 1944 en Belgique et aux Pays-Bas. Sur le même modèle de récit que Le jour le plus long – même auteur de départ, Cornelius Ryan et nouveau casting pléthorique, ce film livre une vision beaucoup plus marquée par la guerre du Vietnam et l’évolution des mœurs. Les soldats sont sales, vulgaires et ils saignent. Et le propos est beaucoup plus critique de l’institution militaire. Montgomery en reprend pour son grade. Mais cette fois, il ne l’a pas volé.
Dans Platoon (1986) (guerre du Vietnam), un homme a le bras arraché. Tom Berenger lui met une branche dans la main : « tiens, le voilà, ton bras. »
Dans le Bon, la brute et le Truand (1966) (Guerre de Sécession), plusieurs hommes sont filmés, agonisant, ensanglantés, se tenant le ventre. Un officier ivrogne raconte toute l’absurdité de la bataille qu’il mène depuis des semaines.
Croix de guerre de Sam Peckinpah (1977) apporte aussi une image violente de la guerre (sur le front est) avec un propos beaucoup plus antimilitariste.
Quant au débarquement, il est filmé dans le même style par Samuel Fuller (The Big Red One, 1980).
Tout ceci n’est pas nouveau. Être cru ne rend pas nécessairement un film subversif.

Croix de guerre, Sam Peckinpah, 1977. Une séquence de violence de guerre avec peut-être un autre propos.

D’autant que le film, comme beaucoup de films montrant la guerre, n’évite pas un écueil, celui de l’esthétisme. Qu’on le veuille ou non, un film doit créer le désir d’être vu. Les acteurs, contrairement aux soldats qu’ils incarnent, ont pour métier de capter la lumière et l’attention. Il faut que le spectateur ait envie de les regarder et de les écouter. C’est tout le problème du film de guerre : il faut rendre attrayant un spectacle repoussant.

Enfin, on peut se demander ce qu’apporte le réalisme affiché par ce film. Certes, les images sont dures. Certes, la bande son est impressionnante.
Et en même temps, qu’apporte ce réalisme ?
On peut pousser l’immersion autant que peut le faire une préparation de tournage, mais il en manque l’essentiel. Les acteurs qui jouent, les spectateurs qui regardent, quel que soit leur degré d’immersion dans le film, savent qu’à la fin, les morts se relèvent et que personne n’est blessé. Ça fait toute la différence. Quant au choc des images, finalement, il tend à occulter la compréhension possible du film.

Mais au fond, ce film ne brise pas de tabou : depuis au moins le Rouge et le Noir et ses descriptions de la bataille de Waterloo où les chevaux piétinent les cadavres, ou les récits de guerre des anciens poilus, on sait que le combat provoque des blessures atroces et des traumatismes. Et que l’institution militaire est capable de produire des situations d’absurde injustice. Je pense là à la scène où un pilote de planeur raconte s’être écrasé parce qu’on a alourdi son appareil pour protéger la vie d’un général. Le sens qu’on y donne, en revanche, fait la différence.

Au contraire, ces sacrifices, ici, semblent parfaitement justifiés : huit hommes se sacrifiant pour en sauver un, à la recherche, peut-être, d’une forme de rédemption. « La seule chose décente qu’on aura réussi à faire » dit Tom Sizemore. « Chaque fois que je tue un homme, je m’éloigne un peu plus de chez moi. » dit Tom Hanks. En somme, la guerre y est présenté comme un mal nécessaire.
La conclusion serait-elle que Steven Speilberg a voulu faire un film va-t-en-guerre ? Ce serait présumer de ses intentions. Ce qui est certain, c’est que les États-Unis qui accueillent favorablement son Il faut sauver le soldat Ryan sont les mêmes qui entrent, trois ans plus tard dans un cycle de douze ans d’engagement militaire massif en Afghanistan et en Irak. Deux guerres envisagées alors comme des maux nécessaires.

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