L’EXPIATION

Le Concerto de l’Adieu, composé par Georges Delerue pour Dien Bien Phu, 1992, film de Pierre Schoendorfer. Engagé dans le service cinématographique des armées, Schoendorfer couvre la bataille, mais, prisonnier, il détruit sa caméra et ses films, à l’instar de ses compagnons détruisant leurs armes lors de la reddition. Il passe une partie de sa carrière de cinéaste à rendre sa justice aux soldats engagés dans les guerres coloniales.

Le 7 mai 1954, le camp de Dien Bien Phu est pris par les troupes du Viet Minh. En France, c’est une surprise et un choc.

Il faut dire, d’abord, qu’en métropole, la population ne s’est pas énormément occupée de la guerre dans les anciens protectorat de la péninsule indochinoise. Le rationnement dure jusqu’en 1949. L’unité de la Libération a volé en éclat. La IVe république voit les gouvernements se succéder au gré des renversements d’alliances parlementaires. Le corps expéditionnaire monté et présenté d’abord comme une continuation de l’armée de libération envoyée poursuivre la guerre contre l’occupation japonaise n’arrive finalement sur place qu’après la reddition du Japon. La « Libération » devient reconquête. Politiquement, ça pèse lourd : les rôles s’inversent. Autre erreur politique : alors que jusqu’en 1946, Ho Chi Minh est disposé à une solution négociée lui permettant de ménager ses arrières alors qu’il se confronte au nord aux nationalistes chinois, la France provoque plusieurs incidents, notamment en violant les accords en matière de contrôle douanier.

La défaite française de Dien Bien Phu est une erreur stratégique, l’état-major français n’ayant pas cru à la capacité de Vo Nguyen Giap d’amener autour de son camp retranché une force suffisante. Or c’est pourtant ce qui arrive : des coolies transportent les pièces d’artillerie à pied ou en vélo le long des pistes et les retranchent dans des grottes. Le camp français n’a pas pu trouver, de son côté, de quoi renforcer ses abris. Le 13 mars 1954, le premier point d’appui tombe sur un déluge d’artillerie. L’officier d’artillerie qui s’était engagé à maintenir les canons du Viet Minh à distance se suicide.

Mais surtout, il semble que ce soit une leçon politique non-retenue de la Libération. Une force militaire hors-sol, sans appui de la population, et rapidement coupée de son ravitaillement, cède face à une armée de libération nationale dont la foi soulève des montagnes. Et renverse les collines. Les volontaires vietnamiens sont, pour reprendre le précepte de Mao, « dans la population comme le poisson dans l’eau. » Le corps expéditionnaire français s’y noie.

Erreur politique d’autant plus manifeste qu’elle emporte dans le naufrage un certain nombre de figures de la résistance. Marcel Bigeard, officier parachutiste, est fait prisonnier. Dix années auparavant, il était parachuté sur les maquis de l’Ariège. Est également anéantie dans la cuvette de Dien Bien Phu la 13e DBLE – demi-brigade de la légion étrangère. La 13 DBLE est Compagnon de la Libération. C’est celle de Bir Hakeim.

L’usage du vers de l’Expiation de Victor Hugo par Schoendorfer donne à penser :
« est-ce le châtiment, Dieu sévère ? »
Châtiment d’un empire colonial ? Châtiment de n’avoir pas compris le sens de l’Histoire ? Simple parallèle entre Waterloo et Dien Bien Phu ? Réflexe de chercher la faute qui amène le désastre ?

Et puis, cette défaite en Indochine laisse aussi une grosse tache morale dans les rangs de l’armée. Pour beaucoup d’officiers encore jeunes, issus des FFL et des FFI, le sentiment d’être envoyés faire le sale boulot d’une décolonisation que la classe politique ne veut pas gérer se fait de plus en plus présent. Ce sentiment va alimenter les volontés putschistes qui vont se manifester dans les années qui suivent en Algérie. Mais également le sentiment d’avoir carte blanche pour la répression et la contre-révolution, une « école française », en fait dans la continuité des méthodes de l’occupation nazie (tortures, représailles et absence de distinction entre civiles et militaires), qui est reprise à partir des années 60 sur le continent sud-américain.

Et pourtant, environ 40 ans avant Dien Bien Phu, Clémenceau disait déjà en pleine crise boulangiste :

“La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires.”

Quelle qu’elle soit, maudite soit la guerre.

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