CULTURE POPULAIRE ET MÉMOIRE (HORS-SÉRIE) : NOTA BENE AU MONT GARGAN

J’avais annoncé que le prochain passage par la culture populaire rendrait visite à Mister Kit, mais Youtube est passé par là. (NdlA : Oui, d’ailleurs, Mister Kit attend toujours…)

Benjamin Brillaud, alias Nota Bene, est un des youtubers parlant d’Histoire avec le plus de succès sur la plateforme vidéos de Google. Il a consacré sa dernière vidéo à la bataille du Mont Gargan.

En juillet 1944, les Alliés lancent l’opération Cadillac, un parachutage d’armes massif sur les maquis bretons, limousins et alpins. Les maquisards de la montagne limousine doivent converger autour du Mont Gargan pour récupérer cette précieuse livraison. Une opération risquée. Elle oblige à accepter provisoirement d’affronter ouvertement l’occupant. Début juin, les précédents affrontements avec l’armée allemande et ses supplétifs ont couté cher aux résistants et à la population.

Chacun son job

Benjamin Brillaud, qui est avant tout un professionnel de l’audiovisuel, sait comment capter l’attention en contant les anecdotes du passé. Une approche du récit historique qui ne suffirait pas à la transmission de la connaissance historique, mais qui a sa place pour diffuser des bribes de connaissance à un public très large. Avec près de 30 000 vues en l’espace de 3 à 4 heures, peu de passeurs d’Histoire peuvent en faire autant. Sa chaine, qui compte presque un million d’abonnés, est une des grosses machines de Youtube.

Nota Bene, au delà de ces anecdotes incroyables, qui marquent les esprits (parmi lesquels il classe la bataille du Mont Gargan) et font du clic (plus de 900 000 vues pour certaines) travaille également à confronter Histoire, légendes, mythes, cinéma et quelques réflexions sur la transmission de la connaissance du passé.

A titre de comparaison, il rendrait jaloux des chaînes comme celles d’Arte (plusieurs chaines thématiques à environ 200 000 abonnés) ou l’historien Histony, dont j’ai, je crois, déjà parlé, qui ne compte pour sa part qu’une quarantaine de milliers d’abonnés. Sans compter votre serviteur et ses… 30 abonnés… (Je vous attends, d’ailleurs, hein. N’hésitez pas, c’est là.)

A titre de comparaison, Histony travaille sur une mise en scène des plus dépouillées : lui, parlant face caméra d’un ton très posé, avec des mots très choisis. En un sens, il respecte son profil de docteur en Histoire : prudence, rigueur et sobriété. Là où Benjamin Brillaud, vidéaste, parle d’un ton enjoué, avec un cadre plus léché. Chacun est dans son rôle.

Grand public et petits raccourcis

Naturellement, passé l’enthousiasme de voir la bataille du Mont Gargan se voir offrir une telle vitrine, j’ai sorti mes lunettes critiques. Et quelques points m’ont fait tiquer.

Oradour

Ce ne sont pas des représailles mais une action de terreur.
La Das Reich a d’abord pour ordre la guerre contre les partisans du secteur de la montagne limousine. Ils ne reçoivent que le 9 juin l’ordre de partir pour la Normandie. Ils décident alors de finir leur campagne de terreur par un coup particulièrement choquant porté à la population : une bourgade importante où l’activité maquisarde n’est pas signalé (il ne s’agirait pas de devenir des cibles quand on massacre). Même s’il n’est pas possible d’établir avec certitude les causes du choix d’Oradour, il est possible que la taille, les conditions de sécurité pour les tueurs et la situation géographique d’Oradour permettant de porter le choc du Limousin aux Charentes et au Berry ont pu déterminer celui-ci.
Le terme de « représailles » est entré dans les usages, mais les habitants d’Oradour n’avaient rien demandé. Les passeurs de la mémoire d’Oradour, de Robert Hébras au personnel du centre de la Mémoire et aux associations de victimes se battent justement, entre autre, sur ce point. (Je vous propose de lire ou relire un précédent article où je me penchais sur la question.)

Guingouin

Il ne devient chef des FFI qu’après cette bataille, le 3 août. La rancune du PCF a été tenace. En juin, il a désobéi à la direction FTPF qui lui ordonnait la prise de Limoges. Bon choix pour Limoges et pour ses hommes, mais mauvais pour sa carrière. Et les gaullistes étaient moyens chauds pour donner les rênes à un coco, d’autant plus en disposant à proximité de Limoges du Commandant Pinte, officier de carrière. C’est la encore un petit détail qui donne beaucoup de sens à tout ça. L’après guerre de Guingouin aurait aussi mérité un petit propos, mais ça c’est ma partie.

Le bilan

Les maquisards connaissaient bien mieux le terrain. Les allemands ne sont pas parvenus à détruire ce maquis (au contraire des Glières, du mont Mouchet, du Vercors ou de Saint Marcel), et à reconquérir le terrain. Il y a donc réellement une victoire de la Résistance.
En revanche, les tués allemands sont peut-être un peu sur évalués. Ils pourraient englober les pertes de la brigade Jesser pour l’ensemble de son déploiement dans la région, jusqu’à son repli, fin août.

S’il est bon, je pense, ne serait-ce qu’en mémoire de celles et ceux qui y ont laissé leur vie, de se souvenir de cette victoire de l’armée des ombres, il est important de garder en tête les limites de cette victoire. S’il y a effectivement une période de bataille rangée entre maquisards du sud est haut-viennois et troupes allemandes, c’est bien d’un épisode de guerre de guérilla que le Mont Gargan a été le théâtre. Le terme de bataille rangée peut être employé mais avec une dose de prudence. Guingouin et ses hommes n’ont pas l’ambition de tenir le terrain coûte que coûte mais de faire disparaître le matériel dont ils vont avoir besoin dans les semaines à venir et préserver l’intégrité de leur organisation. En cela, c’est une victoire du maquis.

Ces précisions valent à mon sens d’être apportées pour que l’Histoire ne devienne pas folklore. Mais reconnaissons à Nota Bene de réussir à parler d’un petit coin de la deuxième bataille de France en l’espace de 10 minutes en gardant son public jusqu’au bout et en ne racontant pas trop de bêtises. C’est toujours mieux que… Hum…

Pas sur les ambulances. (Mais oui, je parle de Bern et Deutsche.)

Pour soutenir le projet Un passé très présent, il y a plusieurs façons que j’ai détaillées ICI.
N’oubliez pas de vous abonner et de fouiller dans le petit bloc ci-dessous pour mettre un petit « J’aime » et un petit partage.
Merci !

Processing…
Success! You're on the list.

Laisser un commentaire

en_GBEnglish (UK)
%d bloggers like this: