L’ESPOIR CHANGEA DE CAMP, LE COMBAT CHANGEA D’ÂME

Le marteau et l’enclume 3/3

Que Victor Hugo me pardonne de lui emprunter ici quelques pieds. J’espère que les miens resteront légers dans la poursuite et la fin de ce feuilleton estival (qui va même finir au solstice d’hiver si je n’y fais pas attention.)

À mesure que le territoire métropolitain est libéré commence une des phases les plus passionnantes de la période. Pour les armées des autres nations belligérantes, le combat continue vers l’est. Mais pour les forces françaises et les populations libérées, en revanche, le changement est profond.

Les libérateurs à l’usure de la libération.

Pour les armées américaine, britannique ou canadienne, dont le territoire est libre et le vivier de jeunes recrues est disponible, si je peux me permettre ces termes crus, c’est une simple question de politique d’enrôlement, classique dans les nations en guerre. Chaque pays mène son recrutement pour mettre sa jeunesse en armes. Pour les pays d’Europe occupés, le problème est différent.

Indépendance(s)

Les Forces Françaises Libres sont constituées d’hommes et de femmes ayant réussi à rejoindre les territoires libérés par des moyens divers, soit en Angleterre, soit dans les colonies.
Les recrues arrivées en Angleterre doivent montrer patte blanche et passer par les interrogatoires pointilleux du contre-espionnage britannique dont Joseph Kessel livre un récit parlant dans Ami, entends-tu ?.
Avant la fusion avec l’Armée d’Afrique, en 1943, les Forces Françaises Libres ne se composent que d’environ 40 000 citoyens français, 30 000 ressortissants des colonies et un peu moins de 4000 volontaires étrangers.
L’armée française qui participe à la campagne de Tunisie (hiver-printemps 1942-43), ce sont environ 72 000 hommes. 50 000 d’entre eux sont maghrébins.
La reprise du Maghreb par les Alliés au cours de l’année 1943 a permis de récupérer l’Armée d’Afrique. 112 000 hommes forment le corps expéditionnaire français en Italie. 60% d’entre eux sont maghrébins

Le gros des forces qui créent l’armée française de libération est issue de l’armée d’Afrique commandée par le général Henri Giraud. Son ralliement et la mise en retrait de Giraud a nécessité un travail politique important pour faire basculer cette armée de Vichy à la France Libre et faire renoncer Roosevelt, qui préférait Giraud, réputé moins politique, à De Gaulle, que certains imaginent déjà dans la peau du dictateur. Ce n’est que le 1er août 1943 qu’on ne parle plus officiellement de Forces Françaises Libres. L’usage, notamment mémoriel, reste. Mais dans la dénomination officielle, les FFL n’existent plus. Elles ne sont plus une force dissidente, mais selon l’expression de De Gaulle : « la vraie France ».

25 août 1944 : « (…)La France qui se bat, la seule France, la vraie France(…) »

La dette de la France aux populations de ses colonies est plus évidente en 1945 qu’elle n’a pu l’être en 1918. À la fin de la 1ère guerre mondiale, les soldats « indigènes » des colonies représentent moins de 10% des tués : un peu plus de 80 000 sur 1 400 000. Naturellement, la question de leur engagement au combat par la République Française qui ne leur accorde pas la citoyenneté se pose. Mais devant l’ampleur de l’hécatombe, la société de métropole est peu encline à s’en émouvoir.
La campagne de France de 1940 reste dans des proportions similaires. L’apport des troupes coloniales reste un supplément dans les effectifs. 5400 soldats « indigènes » y perdent la vie, sur environ 60 000 soldats tués sous l’uniforme français, métropolitains, pieds noirs ou « indigènes ».

En revanche, les proportions sont très différentes dans l’armée française qui participe aux combats aux côtés des alliés à partir de la campagne de Tunisie. Légitimement, les populations colonisés peuvent nourrir l’idée qu’elles ont libéré la métropole. Le rapport politique entre la France et son empire coloniale s’en trouve bouleversé.

Les soldats des colonies ont aussi participé à la campagne de 1940. 70 000 d’entre eux ont été faits prisonniers. 3000 autres tirailleurs dits « sénégalais » ont fait l’objet d’exécutions sommaires par la Wehrmacht. Les prisonniers, contrairement à leurs camarades « blancs », ont été gardés sur le sol de France. Le IIIe Reich n’en voulait pas sur son sol et ne voulait pas non plus s’en occuper. Ce sont des gardes français qui ont surveillé les 22 Frontstalags.
5000 de ces soldats réussissent à s’en évader. Au cours de l’automne et l’hiver 1944, ces Frontstalags sont libérés. Les soldats coloniaux réclament alors leurs arriérés de solde et prime de démobilisation. L’armée française, elle, essaie de faire en sorte de les rapatrier rapidement. De même qu’elle retire du front les régiments coloniaux à mesure que les régiments FFI peuvent prendre le relais. L’allié américain pratiquant la ségrégation et le gouvernement provisoire préférant structurer et envoyer vers les frontières la jeunesse en arme issue des maquis plutôt que de laisser des groupes armées potentiellement subversifs en liberté sur le territoire, les soldats d’AOF et d’AEF ne sont plus souhaitables en France. Ce sont 15 à 20 000 soldats qui sont retirés à la 1ère Armée De Lattre.

Eux en revanche, n’escomptent pas avoir combattu gratuitement. 1635 d’entre eux embarquent à Morlaix le 5 novembre. 315 refusent, en France, cet embarquement. En escale à Casablanca, ils sont encore environ 400 à refuser d’aller plus loin. Environ 1200 arrivent pour une nouvelle étape à Dakar, au camp de Thiaroye. De là, un contingent doit être envoyé à Bamako le 28 novembre, sans que la question des soldes ait été réglée. Les soldats refusent d’aller plus loin. Le commandement décide d’une démonstration de force : le 1er décembre, tirailleurs et gendarmes se présentent accompagnés d’un char léger et de half-tracks. 35 à 70 des soldats du camp de Thiaroye sont tués.

Sans compter le prestige de la métropole perdu en 1940, la dette morale est grande. Le frein mis à l’avancement des soldats des colonies (majoritaires dans la troupe, minoritaires dans les États-Majors) et, plus généralement, les inégalités entre Français et indigènes dans les colonies deviennent insupportables. La plaie ne cicatrisera jamais.

L’armée des ombres devient régulière.

Un film de l’Imperial War Museum : la compagnie « Scamaroni » en prise d’armes.

Passer de l’ombre à la lumière, pour les FFI, c’est aussi passer d’une vie de guerilleros, même membres d’un maquis structuré et discipliné à l’institution militaire telle qu’elle existait avant guerre.

Pour ceux qui ont pris très tôt le risque de passer à la clandestinité, c’est la déconvenue. L’institution n’apprécie guère ces combattants qu’elle n’a, pour la plupart, pas formé elle-même : les classes 40 à 44 n’ont pas fait leur service militaire.
Pour la plupart des « gradés » FFI, l’incorporation se traduit par une dégradation. Pour beaucoup, l’enthousiasme d’avoir libéré son clocher fait place à une guerre d’hiver, dans la boue et le froid, soit à l’est du territoire, soit sur les poches de l’Atlantique.

Vidéo INA : Les actualités françaises parlent des poches de l’Atlantique. (Cliquer sur la photo.
Sur le front de l’Atlantique avec les FFI Journal France Libre Actualités

Alors que pour certaines et certains qui se sont battus contre le nazisme, la lutte devait mener à la révolution, c’est bien un retour des institutions qui se joue dans les territoires libérés. Localement, les préfets nommés par le gouvernement provisoire prennent avec plus ou moins de conflictualité leurs fonctions en place des Comités de Libération. L’épuration doit se faire avec des outils juridiques pas toujours existants, des fonctionnaires de la police et de la justice qui sont les mêmes que dans la période précédente. De quoi relativiser le « Résistancialisme » dont commencent à parler les déjà nostalgiques de la France de Vichy.

Mais l’épuration et la remise en route des institutions seront l’objet d’articles prochains.

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