ATTENTION : Si vous êtes du genre à considérer certains films comme vos doudous ; si, malchance, celui-là est le votre et que, malchance encore, vous soyez tombé sur cet article, peut-être vaut-il mieux passer votre chemin.
Si vous acceptez néanmoins que j’opère, ainsi soit-il. J’essaierai de le faire sans brusquerie.

Et pourtant…
Depuis sa sortie en 1998, Il faut sauver le soldat Ryan s’est imposé comme une référence du film de guerre, au point de supplanter Le Jour le Plus Long dans les marronniers du programme TV du début du mois de juin.
Du gros calibre pour la bataille de l’audience
Pour un responsable de programmation, c’est une valeur sure.

Un bataillon de grognards d’Hollywood
Deux des acteurs les plus bancables des trente dernières années : Tom Hanks (je ne présente pas) et Matt Damon, révélé alors dans Will Hunting, confirmé ensuite dans la Trilogie Jason Bourne, la trilogie Ocean, Green Zone, Syriana… (Sa filmographie ici, celle à tonton Tom, là.)
Une brochette de seconds rôles crédités dans des succès du box-office ou en devenir : Tom Sizemore (Né un 4 juillet, Point Break, True Romance, Pièges en Eaux Troubles, Wyatt Earp, Tueurs Nés, Heat…), Dennis Farina dans le rôle de l’officier qui envoie Tom Hanks et ses hommes au charbon ou encore Paul Giamatti, officier parachutiste qui perd ses hommes et sa patience en pensant voir arriver la relève, pour les confirmés ; Barry Pepper (La Ligne Verte, True Grit, Trois enterrements, Mémoire de nos pères…) en tireur d’élite mystique ou Vin Diesel (Les chroniques de Riddick, xXx, Fast and Furious) en soldat victime de sa compassion pour une enfant.

Un stratège du cinéma grand public

Un réalisateur encore plus bancable, d’ailleurs producteur du film – on en a déjà parlé. Et je ne m’attarde pas sur le CV de l’artiste.
Les résultats sont là :
5 Oscars, plus 6 nominations.
2 Golden Globes et 3 nominations.
2 British Academy Film Awards plus 8 nominations.
Et surtout, la première séquence du film qui assoit sa réputation, caméra à l’épaule dans la boucherie d’Omaha.
La critique salue la claque. Avec la tentation d’oublier que la guerre filmée sans fard, c’est une nouveauté pas si nouvelle que ça. Nous y reviendrons.
De fait, en mai 2014, les 2,06 millions de téléspectateurs (environ 10% de l’audience) lors d’une diffusion en début de soirée sur M6 font figure de déception.
À sa sortie en salle en France, le film avait dépassé les 3,75 millions d’entrées.
Avec un budget de 70 millions de dollars, c’est une grosse production.
Le tournage se fait en Irlande plutôt qu’en Normandie, entre autre pour des raisons économiques. La politique fiscale irlandaise avait déjà court à la fin des années 90.
Comparé à Titanic, néanmoins, sorti au début de la même année, c’est plutôt « modeste ». Le film de James Cameron a mobilisé un budget de 200 millions. Armageddon ou Godzilla, sortis la même année, dépassent les 130 millions.
En fait, le film de Spielberg est dans la moyenne des productions hollywoodiennes de l’année.
NB : On emploie plutôt le terme block-buster pour les films sortis en salle pendant l’été, à la période où les congés estivaux de l’hémisphère nord favorisent la disponibilité du public. Le terme block-buster viendrait d’ailleurs du vocabulaire de l’armée de l’air : le block-buster, c’est une bombe qui détruit tout un pâté de maison. Par analogie, on a appelé comme ça le film à grand public qui écrase la concurrence des autres salles du quartier (une autre époque). Par glissement de sens, on n’emploie plus le terme que pour parler de cinéma.
Le film idéal pour transmettre au plus grand nombre la mémoire du D-Day et de la bataille de Normandie ? Sans doute pour le côté efficace et massif. Le reste est beaucoup moins sur.
Attention, cet article tient plus de la réflexion sur la représentation d’un évènement historique dramatique que de la critique d’un film.
« Basé sur une histoire vraie »
Évacuons d’emblée la question scénaristique.
Le scénario écrit par Robert Rodat pour Steven Spielberg semble reposer sur un certain nombre de postulats plus ou moins probables.
Et pourtant, des histoires de fratries décimées, il y en a eu. De fait, l’histoire vraie derrière le scénario du Soldat Ryan, c’est celle des frères Niland.

Finalement, en mai 1945, le premier disparu est libéré d’un camp japonais en Birmanie.
Le premier combat dans l’armée de l’air. Il est porté disparu en mai sur le front du Pacifique.
Un autre est tué dans la journée du 6 juin 1944 avec la 82e division aéroportée à Sainte-Mère-Église.
Le troisième, officier dans la 4e division d’infanterie est tué le 7 juin dans la tête de pont d’Utah Beach en attaquant la batterie de Saint Marcouf.
Ces deux frères sont donc tués en l’espace d’une journée. À moins de 10 kilomètres l’un de l’autre.
Et comme dans le film, il y a un quatrième frère, parachuté avec la 101e division aéroportée à quelques kilomètres de là .
Et comme dans le film, l’état-major décide de le renvoyer aux États-Unis.

Sauf qu’il ne s’agit pas de mobiliser des Rangers déjà bien occupés dans la tête de pont aux premiers jours d’Overlord pour mener la mission à bien… Ni de risquer huit vies pour en sauver une. À fortiori celle d’un simple soldat.
Simplement, c’est un travail administratif : trouver son unité, voir s’il est porté présent, lui signifier son retour et le mettre dans un bateau.
Savoir si son motif de retour lui a été signifié avec tact n’est pas dit dans la légende.

que je ne suis pas Matt Damon ? »
Donc un scénario vraisemblable ? Je ne pourrais vous faire qu’une réponse de normand. C’est un peu le scénario de Schrœdinger : c’est à la fois vraisemblable et invraisemblable.
Au fond, le film n’affiche pas la prétention de raconter « une histoire vraie ». Le titre n’est pas Il faut sauver le soldat Niland. Ce n’est pas non plus la biographie prétendument rigoureuse d’un personnage central de l’Histoire. Donc la vraisemblance du scénario n’est peut-être pas l’enjeu.
Le Soldat Ryan est un film. Un film à grand spectacle d’un des maîtres du genre. On peut le prendre simplement pour ce qu’il est : une manifestation mémorielle qui s’inscrit dans un contexte. C’est ce que nous verrons au prochain épisode.
À suivre…
Au fait, je n’ai pas 70 millions de budget, si je peux me permettre.
« Pecunia nervus belli », comme on dit vulgairement.
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Très bon article, impressionnant travail !