Brèves réflexions sur une date, et deux évènements sans rapport l’un avec l’autre.

Hier, 7 juin, était un double anniversaire qui n’a pas donné lieu à commémoration importante. Deux événements se produisent il y a 79 ans qui ne font pas l’objet de commémorations particulières.
L’ÉTOILE JAUNE
La première est très symbolique. C’est le 7 juin 1942 qu’entre en application l’obligation du port de l’étoile jaune dans la zone occupée. Cette mesure discriminatoire vient au milieu de mesures d’ordre économique et sociale qui se sont ajoutées les unes aux autres depuis les premiers mois de l’occupation excluant les personnes juives de corps de métiers, de fonctions, contraignant leur situation économique.
C’est une mesure particulièrement symbolique puisqu’elle rend très visible la discrimination de la population juive. Elle marque le durcissement de la politique antisémite : les rafles commencent en France durant l’été 1942.
C’est une mesure qui laisse une trace indélébile dans les esprits en France. Elle devient une référence récurrente, parfois discutable, dans l’expression publique contemporaine.
En 1985, Daniel Balavoine, inquiet de la montée du Front National, écrit une de ses chansons les plus célèbres, L’Aziza.
« L’Aziza, ton étoile jaune c’est ta peau »
L’aziza, « chérie » en langue arabe, s’adresse à sa compagne, juive d’origine marocaine, pour laquelle il exprimé son amour et ses craintes dans l’ambiance du moment. L’année 1983 à été le théâtre de la Marche pour l’égalité et contre le racisme dite, à tort, marche des beurs, en réaction à des violences policières dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux, et à une vingtaine d’agressions racistes recensées.
Autre référence, beaucoup plus douteuse : aujourd’hui, des militants anti vaccin évoquent le port de l’étoile jaune pour une supposée future stigmatisation des personnes qui refuseront de recevoir le vaccin contre le Covid 19.
Cette référence au port de l’étoile jaune est alors utilisé comme instrument de victimisation. Et relève de la banalisation de la Shoah.
Peut-être que le 80e anniversaire l’an prochain de la mise en place de cette mesure pourrait être l’occasion de remettre de l’Histoire dans les débats et de la mesure dans les propos.
Peut-être peut-on pour cela se plonger dans Berg et Beck de Robert Bober dont toute l’œuvre littéraire tourne autour de son expérience d’enfant caché. Après son très salué Quoi de neuf sur la guerre ? (Prix du Livre Inter 1994), Robert Bober raconte en 1999 la relation de deux écoliers juifs, dont l’un a survécu à la guerre et l’autre non. Son roman commence le lundi 8 juin 1942, premier jour où les deux garçons doivent aller à l’école avec l’étoile jaune sur la poitrine et n’ont pas le droit de descendre en récréation.
MIDWAY
Le 7 juin 1942, c’est aussi la fin de la bataille de Midway, au milieu de l’océan pacifique. Cette bataille est généralement évoquée rapidement dans les programmes du secondaires parmi les tournants de la guerre de l’année charnière 1942, au même titre que Guadalcanal et Stalingrad.
Midway est un atoll au cœur de l’océan Pacifique. 5 mois après l’attaque de Pearl Harbour, l’empire du Japon tente d’achever sa domination sur l’océan Pacifique. Et pour ce faire, détruire la flotte des États-Unis, en particulier ses porte-avions.
En attaquant la base aérienne de Midway, la marine japonaise tente d’amener à l’affrontement la marine américaine. Mais ce sont les États-Unis qui remportent haut la main la bataille du renseignement. Ainsi, l’armée américaine dispose d’un coup d’avance qui se combine à un coup de chance quand les avions américains trouvent les porte-avions japonais en plein ravitaillement. Au soir du 7 juin, un porte-avions américain est coulé contre les quatre engagés par le Japon. L’industrie nord-américaine s’est mise en ordre de marche pour compenser les pertes. Le Japon ne peut pas.
C’est une énorme victoire stratégique, les États-Unis allégeant la menace dans le Pacifique. Le choix stratégique de n’appliquer qu’une stratégie défensive dans le Pacifique pour se consacrer d’abord à l’Allemagne se trouve confortée. Des forces aéronavales peuvent être dégagées pour le front de l’Atlantique. Un an après Midway, le rapport de forces dans l’Atlantique est renversé. Quarante-trois sous-marins allemands ont été coulés en mai et pour la première fois depuis 1939, en juin 1943, des convois parviennent à faire la traversée sans pertes. Le tonnage produit dépasse le tonnage coulé. Deux ans après Midway, les îles britanniques sont devenus une gigantesque plate-forme logistique. L’offensive en France débute.
Sans aller jusqu’à simplifier par une formule comme « sans Midway, pas de DDay », il est certain qu’un sort différent de cette bataille au milieu du Pacifique aurait eu des répercussions sur l’ensemble du conflit mondial. Une partie des stratèges américains pesaient en faveur d’une plus forte allocation de ressources dans le Pacifique. La réflexion prévalant depuis décembre 1941 consistant à considérer une victoire allemande comme la perte de deux alliés, britanniques et soviétiques aurait pu être remise en cause si la flotte de surface japonaise était restée menaçante pour le territoire des États-Unis.
Quoi qu’il en soit, en France, cette bataille n’est que très peu évoquée. Quelques films nord-américains sont parvenus sur les écrans français : un documentaire de 18 minutes, oscarisé mais méconnu, de John Ford en 1942 (disponible sur Netflix apparemment), La Bataille de Midway en 1976 et Midway en 2019.
À noter que déjà dans le film de 1976, la violence des combats est déjà présente : des soldats grands brulés sont montrés à l’écran. Quand je vous disais que Il faut sauver le soldat Ryan n’avait pas tout inventé en termes de violence visuelle.
Reste que cette bataille est un pan de mémoire beaucoup plus américaine qu’européenne. Pour les bédéphiles, le deuxième album des aventures de Buck Danny tournent autour des batailles de la mer de Corail et de la bataille de Midway.
Midway, c’est aussi un chapitre du jeu Battlefield 1942, sorti en 2002. Intéressant à noter : le jeu est développé par le studio suédois DICE pour l’éditeur américain Electronic Arts.
On peut aussi signaler les moins connus Battlestations : Midway, jeu de stratégie développé par le studio hongrois de l’éditeur Eidos Interactive (aujourd’hui Square Enix Europe) et Heroes of the Pacific, simulateur de combats aériens développé en Australie.
Stalingrad a donné son nom à des lieux et des rues de France. Parce que c’est le sol européen et non ce front du Pacifique très lointain vu de France. Et par influence du Parti Communiste dans les communes où elle s’est le plus exercé. Midway, en revanche, comme Guadalcanal, sont des noms absents de l’odonymie française. (Si toutefois une lectrice ou un lecteur me trouve en France une plaque de rue, place, square, boulevard ou impasse Midway ou Guadalcanal, merci de m’adresser la photographie ici.)
Il y a aussi, en quelques sortes, un mauvais timing dans le calendrier pour ce 7 juin. Juste au lendemain du 6 juin, donc d’une date qui touche directement au territoire français. Et des 9 et 10 juin, anniversaire des massacres de Tulle et Oradour.
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