CEUX QUI DISENT NON, CEUX QUI DISENT OUI

Deux documentaires ont retenu mon attention sur une thématique similaire.

Le premier à été diffusé cette année sur Arte à l’occasion du 80e anniversaire du déclenchement de la deuxième guerre mondiale : Pologne 1939 : La métamorphose des soldats en criminels de guerre.

Le film de Jean-Christophe Caron et Alexander Hogh suit, à travers leurs écrits (courriers et carnets de guerre) le parcours de plusieurs soldats allemands de profils différents dans la campagne de Pologne. S’y dessinent plusieurs attitudes différentes face aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité perpétrés par les armées allemandes contre la population de Pologne, notamment la population de confession juive. Des attitudes qui vont de l’apitoiement sur le sort des civils et militaires polonais maltraités à la collaboration la plus active aux crimes de masse.
Ce film, qui se met à hauteur d’homme, a le mérite de rappeler d’une part que ces crimes n’ont pas été le seul fait de la SS. La Wehrmacht y a bel et bien pris part. Autre mérite du film : mettre en lumière les mécanismes qui effacent tout sentiment de culpabilité chez les criminels. Du simple sentiment d’impunité d’actes plus ou moins tolérés par la hiérarchie à des mécanismes plus complexes basés sur la construction d’un ennemi mortel à détruire dans la population polonaise et dans la population juive en particulier, permettant au criminel d’inverser le sens de son acte.

Le deuxième film date de 2017, réalisation de Serge de Sampigny.

Au travers d’une série d’entretiens avec d’anciens SS, l’auteur décortique comment ces jeunes hommes et femmes se sont embrigadés dans la logique nazie qui les faisaient membres d’un corps d’élite.

Un documentaire parfois dur à voir et à entendre, tant il donne parfois à entendre la parole de criminels sans scrupules et sans regrets. Mais un film également riche d’observations sur ces mêmes mécanismes décrits dans Pologne 1939. Et là encore, une diversité d’attitudes à noter : certains sont des repentis (un pasteur, un syndicaliste), d’autres sont inflexibles et continuent de défendre leurs actes soit par le négationnisme, soit par l’inversion, une nouvelle fois, du sens du crime, dénonçant une « justice des vainqueurs ».

L’un des moments les plus intéressants du film vient du témoignage d’un fils de SS : Niklas Frank, fils de Hans Frank, gouverneur de Pologne occupée. Peut-être un des témoignages les plus éclairants : « un souvenir de médiocrité ». Alcool et sexe sans mesure, luxe et luxure. Une ambiance décrite aussi parmi les gardiens d’Auschwitz : la délégation des crimes à des agents dominés, notamment des criminels de droit commun, et un mode de vie frivole à l’excès, en faisant mine de ne pas voir, ne pas savoir et ne pas assumer ce qu’il advient. Cette lâcheté, comme l’aveu du but réelle de l’action des nazis : établir un régime qui les fasse aristocrates, ou du moins bourgeois, non pour mener un peuple vers une destinée, mais pour jouir de la richesse produite. Auraient-ils eu des ambitions plus « nobles » que leur construction sociale raciste n’en serait pas moins inexcusable sur le fond et sur la forme.

À noter aussi, ce combat pour la mémoire tentant de semer la confusion dans le souvenir : négation de la Shoah, bien sûr, mais aussi, classique dans la défense du nazisme, la mise en comparaison des crimes nazies et des bombardements sur les villes allemandes ou la justification des atrocités commises contre des civils par l’action des partisans. Comparaisons qui ne tiennent qu’en omettant les populations bombardées d’Espagne, de Pologne, de France, d’Angleterre, de Russie, etc et en omettant le rôle d’agresseur et l’expansionnisme du régime nazi. La guerre n’est pas un jeu où on peut crier pouce quand le vent tourne. Néanmoins, le fait que certains SS n’aient jamais renié leur engagement et qu’ils fassent aujourd’hui encore des émules est bien la preuve que même quand les armes sont à terre, le combat continue, celui du sens.

Pour conclure, rappelons cette citation en préface de Si c’est un homme de Primo Levi :

Beaucoup d’entre nous, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que « l’étranger, c’est l’ennemi ». Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection latente ; elle ne se manifeste que par des actes isolés, sans lien entre eux, elle ne fonde pas un système. Mais lorsque cela se produit, lorsque le dogme informulé est promu au rang de prémisse majeur d’un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique, il y a le Lager ; c’est à dire le produit d’une conception du monde poussée à ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse ; tant que la conception a cours, les conséquences nous menacent. Puisse l’histoire des camps d’extermination retentir pour tous comme un sinistre signal d’alarme.

Et non, je ne dirai rien sur des éditorialistes récidivistes d’incitation à la haine raciale. Mais je n’en pense pas moins.

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