LES TROIS MÉMOIRES DE CHRISTIANE TAUBIRA

Invitée jeudi 16 septembre de la matinale de France Inter, Christiane Taubira, ancienne garde des sceaux, a livré une interview très intéressante si on l’envisage notamment sous l’angle mémoriel. Une mémoire à triple entrée.

Pour tout journaliste, Mme Taubira est ce qu’on peut appeler « une bonne cliente ». Tour à tour lyrique, joviale, piquante ou rieuse, elle est de ces personnes qui manient l’expression publique avec brio. Dans un double contexte de rentrée politique et de rentrée littéraire, elle vient présenter un recueil de nouvelles. Et pour le reste, tous et toutes les intervieweuses et intervieweurs en poste brûlent de lui demander…

La mémoire de l’esclavage

Native de Cayenne, ancienne députée de Guyane, ancienne militante d’un parti indépendantiste, Mme Taubira est la rapporteuse en 2001 d’une des rares lois mémorielles de la législation française, la loi Taubira ou Loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.

La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité.

Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.
Article 1

Il me faudra plus de temps pour me pencher sur le sujet des lois mémorielles en général et de la loi Taubira en particulier car s’il y en a peu, c’est qu’une loi mémorielle est tout sauf simple et interroge toujours la place et le rôle du législatif et de la recherche. De quoi alimenter les réflexions sur la notion d’Histoire officielle, sur laquelle j’avais repéré déjà quelques éléments.

Mais Christiane Taubira est aussi autrice. Ce qui l’amenait à l’antenne de France Inter ce matin, pour la parution de son dernier livre « Ces Morceaux de vie… comme carreaux cassés ». La dernière nouvelle de ce recueil porte sur la transmission de la mémoire de l’esclavage, ce qui lui a permis d’aborder le sujet. Notamment sur les rôles respectifs des chercheurs et chercheuses en Histoire et des militantes et militants de la mémoire.

On pourra néanmoins observer qu’elle s’exprime là du point de vue de la militante politique.

La mémoire de 2015

Christiane Taubira est, de la formation du premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault en juin 2012 à sa démission du deuxième gouvernement de Manuel Valls, ministre de la justice. C’est à ce titre qu’elle porte la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe.

Ce qui revient peut-être moins en mémoire la concernant, c’est aussi que le temps qu’elle passe place Vendôme est une période de tension particulièrement aiguë en matière de terrorisme.

Elle prend ses fonctions trois mois après les attentats perpétrés en Haute Garonne par Mohamed Merah. La Syrie s’enfonce dans la guerre depuis un an. La frontière syro-irakienne devient le berceau de l’Etat Islamique. Elle est toujours en fonction au long de l’année 2015. Elle fait partie des membres du gouvernement les premiers concernés par les attentats de janvier (Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes), de juin (usine Air Products de Saint-Quentin-Fallavier) et de novembre (Saint-Denis et Paris). À ces moments cruciaux, elle est à la tête du ministère dont relèvent trois volets majeurs.

Le judiciaire : instruction des dossiers des auteurs et complices, donc moyens mis en œuvre pour l’enquête et la procédure, garantie de l’indépendance des magistrats dans une période de forte demande sociale de justice.

Le carcéral : que faire des détenus dits « radicalisés » face à une double nécessité ? Celle d’empêcher le prosélytisme en prison : plusieurs auteurs des attentats s’y sont justement politisé à l’islamisme. Celle de préserver l’état de droit, défi manqué par l’administration américaine d’Abou Ghraib à Guantanamo.

L’aide aux victimes, enfin, relève du ministère de la justice dans un rôle de pilotage des associations. La mise en place d’un comité de suivi dédié aux victimes du 13 novembre, en revanche, se fait sous le ministère de son successeur, Jean-Jacques Urvoas.

Au terme de la première semaine du procès historique des attentats du 13 novembre 2015, un regret : ce n’est que sur son ressenti de cette soirée et non sur ces aspects qu’elle est interrogée. Comme si la femme de lettre avait été privilégiée à la femme politique.

La mémoire de 2002

Enfin, ça n’aura échappé à personne, l’actualité, c’est la campagne pour les élections présidentielles d’avril prochain qui bat son plein puisque cette rentrée politique. La Ve République ayant adopté le quinquennat, le scrutin 2022 sera aussi un vingtième anniversaire : celui du 21 avril 2002.

C’est, comme le rappelle à juste titre Léa Salamé, un traumatisme pour beaucoup.

L’étrange défaite

Lionel Jospin est depuis 1997, premier ministre de Jacques Chirac. La cohabitation d’un président et d’un gouvernement de bords politiques différents est une rareté dans la Ve République. L’ex-premier secrétaire du Parti Socialiste semble en sortir renforcé. Le bilan semble positif : réduction du temps de travail à 35h hebdomadaires, PACS et indicateurs économiques favorables. Et l’exercice du pouvoir semble l’avoir crédibilisé vis-à-vis de son adversaire de 1995, Jacques Chirac.

E unus pluribum

Sauf que l’union de la gauche de 1997 n’a plus vraiment cours. Sans doute persuadées de la victoire du premier ministre sortant, les différentes forces de gauche semblent décidées à utiliser le premier tour comme jauge des rapports de force du gouvernement à venir. Outre Lionel Jospin pour le seul PS, les candidatures à gauche se multiplient : Christiane Taubira pour le Parti Radical de Gauche, Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l’intérieur démissionnaire, Noël Mamère pour Les Verts et Robert Hue pour le PCF. Cinq candidats classés à gauche, en plus des trois d’extrême gauche.

Pour rappel : Candidatures et résultats des élections présidentielles de 2002

Au soir du 21 avril, la gauche française voit se réaliser son pire cauchemar. Aucun de ses candidats ne passe le premier tour. Le PCF reste même pour la première fois en deçà de 5% et se retrouve en difficultés financières, ne bénéficiant pas du remboursement de ses frais de campagne.

Surtout, face au candidat de droite Jacques Chirac, c’est le candidat d’extrême droite Jean-Marie Le Pen qui se qualifie. Jean-Marie Le Pen est à la tête d’un parti fondé en 1972 avec d’anciens partisans de la collaboration. Ancien officier de renseignement en Algérie, ancien député poujadiste, ancien directeur de campagne en 1965 de Tixier-Vignancour, avocat de Céline et ancien du PPF de Doriot. Ajoutés au palmarès personnel de l’individu ses propos négationnistes et antisémites, Le Pen, c’est l’incarnation d’un passé qui ne veut pas passer. Et que sa fille s’évertue aujourd’hui à faire oublier.

Le traumatisme du 21 avril 2002, c’est celui-là : la gauche a failli sur ce qui aurait du être son plus petit dénominateur commun, l’antifascisme.

Christiane Taubira ne résume pas à elle seul ce triple héritage mémoriel. Mais elle en a sa part, ce qui rendait son entretien matinal sur France Inter particulièrement intéressant.

L’intégral de l’entretien est ici.

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